L'entomologie médico-légale est une science, une science qui étudie les insectes nécrophages présents sur les scènes de crime et/ou sur un cadavre. Bien que cela puisse paraître repoussant, les informations apportées par les insectes sont une aide précieuse lors d'enquêtes criminelles. C'est pour cela qu'on parle ici d'un domaine médico-légal : on cherche à comprendre une scène de crime à travers le corps de la victime.
Je vous emmène donc dans ce monde passionnant qu'est l'entomologie médico-légale, son histoire, le protocole et la méthodologie, ce qui nous mènera à nous intéresser au sujet de l'étude : les insectes nécrophages.
Développement de l'entomologie médico-légale
En occident, il va falloir attendre un moment avant de voir arriver la discipline. Cela n'est pas le cas dans d'autres région du monde. C'est le cas en Chine par exemple, où l'on retrouve déjà sous la dynastie Song (960-1279) des avancées techniques spectaculaires dans le domaine médico-légal. L'entomologie médico-légale, elle, n'est pas reconnue comme une discipline à part entière mais il semble déjà y avoir des prémices d'une entomologique plus poussée. Lors de scènes de crime, les enquêteurs collectent des indices sur et autours des corps, on cherche à connaître les causes le la mort pour connaître la procédure à suivre. On retrouve également, toujours en Chine, un premier ouvrage fondateur Instruction aux légistes par Song Song Huifu. Il commence questionner quand à la nécessité d'examiner les corps pour résoudre des affaires criminelles en exposant des cas concrets. Il fait alors mention à un cas d'entomologie médico-légale :
"Un paysan a été frappé à mort à l'aide d'une faucille. Arrivé sur les lieux, le magistrat demande aux villageois de déposer leurs faucilles sur la place du village. Puis, à l'aide de mouches, le magistrat va rechercher la présence d'une éventuelle trace invisible de sang sur l'une des faucilles. Grâce à ces diptères, l'arme fut découverte et son propriétaire confondu et arrêté."
Extrait de l'ouvrage Une histoire de la médecine légale et de l'identification criminelle
BAUER Alain et DACHEZ Roger
Pour la France, il va falloir attendre XIXe siècle pour voir la discipline apparaître avec l'ouvrage La Faune des cadavres. Application de l'entomologie à la médecine légale de Pierre Mégnin, un incontournable. C'est avec une enquête à laquelle il participera en 1850 que l'entomologie va voir le jour. Il en fait d'ailleurs mention dans la préface de son ouvrage :
"Au mois de mars 1850, on découvrait le cadavre d'un enfant nouveau-né dans une cheminée où il s'était momifié sous l'influence d'un milieu chaud et sec […]. Les organes intérieurs avaient disparu, dévorés par des larves d'insectes sortis de nymphes dont on retrouvait les coques dans les cavités splanchniques. Dans l'épaisseur des muscles, il existait des larves ou des vers blancs vivants. Il était important de déterminer l'époque de la mort afin de pouvoir rapporter le crime au temps de l'occupation de l'un des quatre locataires successifs. Le docteur Bergeret mit très heureusement à profit, pour cette détermination, la présence et le développement des insectes ; d'une part des coques vidées, deux seulement renfermaient des mouches mortes ; de l'autre, des larves vivantes. Il était évident que deux générations d'insectes, représentant deux révolutions annuelles, s'étaient succédé dans le corps de cet enfant, très probablement mort dans l'été de 1848. Sur le cadavre frais la mouche avait déposé ses larves à cette époque, et, dans le cadavre desséché, le papillon des mites avait pondu en 1849. Moquin-Tandon , à qui j'avais soumis le fait, reconnut qu'il était possible et que les déductions qu'en avait tirées Bergeret étaient justes."
Infanticide, Momification naturelle du cadavre,
Annales d'hygiène publique et de médecine légale,
série 2, no 4.- Paris : Jean-Batiste Baillière, 1855
Pierre Mégnin a continué ses recherches sur le sujet et publie ses premiers résultats d'études en 1887 dans la Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie avec un article nommé De l'application de l'entomologie à la médecine. Mais ce n'est qu'après la Seconde Guerre mondiale que l'entomologie médico-légale connaîtra un véritable essor. Cet essor est porté par le docteur et entomologiste Belge Marcel Leclerc qui travaillera avec des médecins légistes et publie différents ouvrages sur le sujet.
Dès les années 1980, l'entomologie médico-légale est couramment utilisée dans des enquêtes aux Etats-Unis. L'année 1985 marque l'établissement et la publication de protocoles de prélèvements d'insectes et d'études. Chez nous, en France, c'est en 1992 que la gendarmerie nationale se dote d'un laboratoire d'entomologie au sein de l'Institut de Recherche Criminelle.
L'année 2003, voit la naissance à Francfort de l'European Association for Forensic Entomology qui a pour but de standardiser les protocoles d'échantillonnages d'insectes sur les cadavres et les scènes de crimes.
Protocole et méthodologie
Pour faire usage à bon escient des informations que nous fournissent les insectes nécrophages, il est important, comme dans toutes disciplines scientifiques d'avoir un protocole commun. Dans le cas de l'entomologie médico-légale, la méthode repose principalement sur le principe des escouades. Lorsque que la mort remonte à un mois ou plus, c'est à dire sur l'ordre d'arrivée des espèces d'insectes sur le cadavre ainsi que le temps qu'elles y ont passé. Cela veut dire qu'en fonction du stade de décomposition, les espèces d'insectes vivants sur le cadavre ne sont pas les mêmes, permettant alors de savoir où en est le processus et par conséquent dater le début de la décomposition et donc dater la mort. Par exemple, lorsque la mort remonte à moins d'un mois, on cherche à déterminer l'âge des asticots en fonction de leur stade de développement.
Il faut donc logiquement que les insectes aient eu le temps de trouver refuge sur le corps, l'entomologie s'applique donc sur les corps retrouvés plus de 48h après le décès. Il s'agit donc de faire parler des corps où la mort remonte à quelques jours voire plusieurs mois, suivant le lieu où se trouve le cadavre. Car en effet, d'autres données sont à prendre en compte pour l'étude : la météo, les températures, le terrain (exposé ou ombragé), si corps est retrouvé enterré ou découvert, le type de sol, la végétation etc. En fonction de ces critères, le processus de décomposition peut être plus ou moins rapide, il faut donc tous les prendre en compte pour avoir une estimation la plus précise possible. Les enquêtes judiciaires reposant sur les preuves collectées, tous les éléments doivent être recueillis et enregistrés.
Sur une scène de crime, l'entomologiste prend en considération les critères que nous avons précédemment cités : les plantes, le type de sol, le climat... Il est possible qu'un échantillon de sol soit recueillit pour que les larves soient éloignées du corps afin de permettre une poupaison. Dans le cas d'une scène de crime en intérieure, on cherche les points d'accès par lesquels les insectes ont eu la possibilité de s'introduire. L'entomologiste recueille ensuite quelques échantillons du corps. Si présence d'asticots il y a, une partie est conservé dans de l'alcool pour permettre de déterminer l'âge des sujets. Les autres sont recueillis vivant pour pouvoir identifier l'espèce une fois adulte.
Une fois les recherches finies, l'entomologiste rédige un rapport médico-légal, il y est expliqué tout ce qui a été réalisé, de quelles manières et les conclusions qu'il en a tirés. Ce rapport est méthodiquement constitué : on y trouve un résumé, le contexte de l'enquête, la qualification de l'auteur, le matériel, les méthodes et difficultés rencontrées, les résultats avec leurs interprétations, une conclusion ainsi qu'une bibliographie (un peu comme un rapport de fouille archéologiques).
Les insectes nécrophages : comment nous sont-ils utiles ?
Comme nous l'avons vu précédemment, la méthode de datation repose en grande partie sur le principe des escouades qui correspondent au processus de décomposition. C'est quelques minutes après la mort que commence le processus de décomposition. Le corps émet des odeurs qui ne sont à ce moment là par perceptibles par l'Homme. Les insectes sont alors attirés et commencent à pondre dans les différents orifices. Les larves naissent peu de temps après et se nourrissent du corps. A partir de là, durant le processus de décomposition apparaissent de nouvelles odeurs qui chassent les premiers insectes et en attirent d'autres et ainsi de suite.
Les différents processus qui suivent sont détaillés dans la Thèse de Doctorat de Charabidze Damien, Etude de la biologie des insectes nécrophages et application à l'expertise en entomologie médico-légale :
- Première escouade (3 premiers mois)
Cette première escouade est composée principalement de calliphoridae, des mouches bleues ou vertes dont les larves aspirent les liquides qui sont issus de la transformation des tissus organiques. On trouve d'autres espèces telles que la calliphora vicina, Musca stabulans, Lucilia spp...
- Deuxième escouade ( 3 premiers mois)
A cette escouade, les mouches sont toujours présentes, on trouve en grande majorité la sarcophagidae. Ces mouches sont striées de noir et de blanc et sont quand à elles attirées par les odeurs cadavériques. Leurs larves étant particulièrement voraces, elles réduisent les tissus en bouillies.
- Troisième escouade (3 premiers mois)
Désormais ce sont les coléoptères dermestidae qui font leur apparition : Lorsque les graisses pourrissent, elle libèrent des acides gras dont raffolent ces petits insectes.
- Quatrième escouade ( 3 à 6 mois)
Retour en force des mouches. Noires et attirées par la fermentation de la caséine (Caseus en latin signifie fromage)
- Cinquième escouade (entre 3 et 8 mois)
Cette fois, d'autres coléoptères et diptères apparaissent, attirés par le dégagement d’ammoniaque.
- Sixième escouade (entre 6 et 12 mois)
C'est lorsque les fermentations s'arrêtent qu'apparaissent les acariens, les arachnides microscopiques qui sont chargés de nettoyer les dernier liquide du cadavre (lymphe, sang, bile, chyle... autrement dit les humeurs).
- Septième escouade (entre 1 et 3 ans)
Quand le cadavre est complètement desséché ce sont encore les coléoptères et des lépidoptères qui interviennent, ils raclent les ligaments et les tendons.
- Huitième escouade (après 3 ans)
Dernière escouade, elles survient quand le cadavre est pratiquement à l'état squelettique. Ce sont les coléoptères tenebrionidae et une espèce de scarabée qui vont alors éliminer tout les restes des escouades : insectes morts, les larves, les cocons vides…
Moi j'ai une chose à rajouter : la nature est quand même vachement bien faite…
Sources
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Bauer Alain et Dachez Roger, Une histoire de la médecine légale et de l'identification criminelle, Presses Universitaire de France, 2015, 148 pages
Thèse de Doctorat, Etude de la biologie des insectes nécrophages et application à l'expertise en entomologie médico-légale par Charabidze Damien, Archives ouvertes, 2008
Entomologie : Insectes, cadavres et scènes de crime, revue de presse [en ligne] : https://www.police-scientifique.com/entomologie-insectes-cadavres-scenes-de-crime/
Masselin Philippe, Entomologie et Médecine légale, n°97
Site de la PJGN (Pôle Judiciaire de la Gendarmerie Nationale), rubrique Sciences Médico-Légale : https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/pjgn/IRCGN/L-Expertise-Decodee/Sciences-Medico-Legales/L-entomologie-legale-les-insectes-au-service-de-l-enquete
Image :
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