“Consultez les historiens, ils gardent le silence ; interrogez les médecins, ils sont glacés de peur ; adressez-vous aux philosophes, ils vous répondent par un geste négatif. La postérité pourra-t-elle croire à tant de malheurs, lorsque nous y croyons à peine, nous qui en avons été témoins… ? Heureux nos arrière-petits-fils qui n’auront pas vu ces calamités, et qui peut-être regarderont comme une fable le récit que nous en ferons.”
Pétrarque (1304-1374)
A l'heure à laquelle j'écris cet article, nous sommes en 2020 en pleine crise sanitaire. Bien que cette situation soit exceptionnelle, elle n’est pourtant pas nouvelle et le monde a déjà eu à faire à des pandémies de ce type, on pensera au premier abord à la peste. Je profite donc du confinement pour aborder ce sujet.
Le mot de "peste" vient du mot latin Pestis qui signifie “le fléau”. Cette maladie a une symptomatologie qui varie suivant son mode de transmission, mais ça, nous y reviendrons plus tard.
La bactérie responsable de la peste fut isolée pour la première fois au XIXe siècle, en 1894, par Alexandre Yersin, qui donnera son nom à la bactérie : Yersinia Pestis. Etant donné que cette bactérie fut isolée que tardivement, il est difficile de savoir si les pandémies et épidémies considérées comme étant liées à la peste l’étaient vraiment. Néanmoins, une en particulier a été confirmée comme étant provoquée par cette bactérie et qui marqua les esprit tant elle fut dévastatrice : la grande peste noire de 1347 à 1352. Mais attention, la maladie n’a pas subitement disparu en 1352, d’autres épidémies s'en sont suivies mais plus localement, parfois 300 ans plus tard. On peut notamment citer l’épidémie de peste à Marseille en 1720 qui a été particulièrement catastrophique.
Dans cette publication, je m'intéresserai à la maladie en elle-même, à la médecine et au traitement des morts. Je ne m'intéresserai donc pas aux aspects sociaux et économiques bien que cela soit très intéressant.
Yersinia Pestis : transmission, symptômes, physiologie
Les Yersinia sont un genre de bactéries appartenant à la famille des Enterobacteriaceae où 14 espèces ont été décrites. Il est l’un des micro-organismes les plus pathogènes du monde bactérien mais il reste néanmoins sensible à la chaleur, à la dessiccation, aux antiseptiques et à tous les antibiotiques actifs sur les bactéries à Gram négatif. A l’inverse, il résiste au froid. Le bacille de Yersin trouve son réservoir naturel dans l’organisme de 200 espèces de rongeurs (donc pas seulement le rat) mais contrairement à ce que l’on pense, la bactérie n'atteint que rarement l’homme et le plus souvent de manière accidentelle. L’agent vecteur principal transportant et contaminant est la puce, dont une trentaine d’espèces peuvent jouer ce rôle d’agent. On parle alors de peste bubonique.
La peste bubonique
Cette forme de la maladie est causée par une transmission par la piqûre d’une puce infectée. Sans traitement, elle est mortelle dans 40 à 70% des cas en moins d’une semaine. Pourtant, elle est la forme la “moins grave” mais aussi la plus répandue.
La bactérie atteint le système lymphatique par l’intermédiaire du ganglion le plus proche de la piqûre. L’incubation dure entre un et quatre jours, on note ensuite un état de faiblesse, des maux de tête, une forte fièvre , des vomissements et des diarrhées. Parfois, il y a une phlyctène (ampoule ou cloque) à l’endroit où a piqué la puce. Mais la caractéristique principale de cette forme de la maladie sont les bubons. Leurs localisations correspond au territoire lymphatique. Si le malade survit, la convalescence est longue, mais la survie est moindre : le bacille se répand à partir du bubon par voie lymphatique et sanguine pour aboutir à une septicémie et la mort.
La transmission d’Homme à Homme est plus rare, mais elle existe. Quand le bacille arrive jusqu’aux poumons, il devient alors transmissibles par les gouttelettes de flügge (gouttelettes propulsées dans l'air), on parle alors de peste pulmonaire.
2. La peste pulmonaire
Comme son nom l’indique, la transmission s’effectue par voie aérienne, d’Homme à Homme, notamment par l’intermédiaire des gouttelettes de flügge. Dans ce cas, l’infection est particulièrement rapide : l’incubation se fait entre deux heures et deux jours, le début de l’infection est particulièrement brutal. Outre les symptômes généraux (fièvre, frissons, maux de tête, fatigue), apparaissent des symptômes respiratoires ainsi que des troubles nerveux menant au coma. Dans 100% des cas, cette forme de la maladie mène à la mort en cas d’absence de traitement. Enfin, comme tout autre maladie, qu'elle soit causée par un virus ou une bactérie, elle peut se transmettre par le sang, on parle de peste septicémique.
3. La peste septicémique
Ici, l’infection se propage par la circulation sanguine et la pénétration de la bactérie se fait à travers les excoriations cutanées ou des conjonctives. Dans ce cas, elle est plus difficile à identifier car en dehors des signes généraux, il n’existe pas de signes révélateurs. Comme dans les cas précédents, l’apparition de l’infection est brutale : la fièvre peut monter jusqu’à 41°C , avec une hépatomégalie (augmentation du volume du foie et de la rate), souffrance cérébrale, parfois un syndrome hémorragique ou dysentérique (infection intestinale). On peut également observer un gangrène des extrémités du nez, des doigts et des orteils donnant ainsi un aspect noirâtre aux extrémités.
La grande peste noire : la propagation de la bactérie
Les débuts de la pandémie
La pandémie débute dans les années 1330 en Asie centrale, très probablement au Kazakhstan actuel. Doucement, autour des années 1340, la maladie se diffuse vers le sud, en Iran mais aussi vers le nord, où elle suit la Volga. C’est en 1347 que la maladie arrive en Crimée et plus précisément dans la colonie Génoise de Caffa assiégée alors par l’armée Mongole. C’est aussi là que va se dérouler la première guerre bactériologique connue : lorsque la peste décime l’armée Mongole, celle-ci est contrainte de lever le siège, et avant de partir, l’armée prend soins de jeter les cadavres au-dessus des murailles de la ville à l’aide des machines de guerre (sympa les gars). Mais le port de Caffa est au centre du commerce entre l’occident et l’orient. La maladie va donc rapidement se répandre à Constantinople puis à l’ensemble de l’Afrique du Nord et bien évidement en Europe occidentale par l'intermédiaire des bateaux de marchandises.
Aujourd’hui, de nombreux témoignages de l’essor de la maladie nous sont parvenus. On retrouve par exemple les écrits du père franciscain Michel Platensis de Piazza :
“Au mois d’octobre 1347 arrivèrent de Gênes dans le port de Messine douze navires ayant fuit le fléau que le Seigneur leur avait envoyé en châtiment de leurs pêchés. Ils apportaient un mal si contagieux qu’il suffisait de parler avec ceux qui en étaient affligés pour être soi-même mortellement atteint sans espoir de guérison.”
Les Pays-Bas, le Hainaut et le Brabant (provinces de l’ouest et du centre de la Belgique) sont touchées dès 1349, mais ces régions ne sont que très légèrement impactées. En Pologne, les régions du nord sont contaminées tandis que le reste du pays échappe à la contagion. Mais la maladie continue de se développer en Europe et des mesures sont donc prises pour essayer de réduire la pandémie, en vain…
2 . Les mesures prises pour réduire la propagation
Pour réduire la contagion, les bateaux transportant des malades sont dans un premier temps rejetés des ports et les cadavres sont jetés en mer. Mais c’est trop tard : la peste est déjà là.
Dans une autre registre, il est important de comprendre que les mesures prises se sont faites en fonction des croyances de l’époque. En effet, pour les Hommes du moyen-âge la cause de la peste est avant tout divine. Ce serait donc la colère de Dieu qui causerait ce phénomène, il faut donc faire en sorte de calmer sa colère en chassant ce qui pouvait être la cause de cette punition. On commence alors à faire appel au soutien des saints guérisseurs tel que Saint Christophe. On fait également des prières, des messes et des processions sont organisées pour implorer le pardon divin. Les malades sont expulsés car l'on pense qu'ils sont en proie à la malédiction et ne méritent donc pas leur place au sein de la communauté des croyants.
Les malades pouvaient aussi être confinés chez eux avec une interdiction de sortir, mais cela ne servait à rien, car les familles étant nombreuses, la maladie continue de se propager. Mais comme toutes crises, il faut un coupable qui va rapidement être trouvé…
Les lépreux sont considérés comme étant à l’origine de la colère divine ou du moins ils y participent. Il faut donc les persécuter et sont accusés “d’empoisonneurs”. Et vous savez quelle autre partie de la population est considérée comme étant à l’origine de la peste ? Devinez c’est pas compliqué… Les juifs ! Pour changer… Ils sont accusés d’être des “semeurs de peste” et les pogroms vont se multiplier dès 1348 à Barcelone, Bruxelles, Strasbourg, Toulon…faisant de nombreux morts (900 rien qu’à Strasbourg où la moitié de la population juive a été tuée). On accusera aussi les étrangers de passage comme les voyageurs, les pèlerins et les nomades mais aussi des infirmiers, des prêtres, des médecins et des porteurs de cadavres de favoriser la contagion.
La désolation des médecins
Alors oubliez l’image du médecin que vous avez en tête quand vous entendez “peste noire”, car le long costume noir et le masque au nez crochu n’est utilisé en vérité qu’au XVIIe siècle.
A cette époque, les médecins étaient considérés comme des clercs et ils n’examinaient pas les malades. Seuls les barbiers, considérés comme chirurgiens, touchaient les malades.
Mais la peste au moyen-âge est inconnue et il faut bien le dire : les médecins étaient désemparés. Ils ne comprenaient pas le mal qui touchait les malades ce qui rend encore plus difficile une éventuelle guérison. Ils utilisent alors les méthodes habituelles pour traiter les maladies : les saignées, les suées, les plantes…
Mais une nouvelle théorie expliquant l'épidémie va apparaître : la cause astrale, qui a été considérée comme un agent étiologique de la peste lors de l’avis rendu par les médecins de l’Université de Paris en 1348. Ils avaient en effet conclu que, la conjonction des trois planètes supérieures (Saturne, Jupiter et Mars) dans le signe Verseau en 1345, était responsable de la corruption de l’air. Mais cette piste ne fut pas prise au sérieux. Une chose néanmoins était sûre pour les médecins de l’époque : la peste provient d’un air corrompu. Ce qui explique que de nombreuses personnes furent expulsées ou mise à l’isolement. Les plus riches, eux, partaient dans leur demeure de campagne propageant d'autant plus la bactérie.
Mais il ne faut pas blâmer complètement la médecine de l'époque : la différenciation entre la peste bubonique et la peste pulmonaire fut constatée dès 1348. C’est le cas d’un médecin avignonnais : Guy de Chauliac.
« La première dura deux mois avec fièvres continues et crachements de sang et on en mourait en trois jours. La seconde fut, tout le reste du temps, aussi avec des fièvres continues, apostèmes et caroncles, principalement aux aines et aux aisselles, et on en mourait dans cinq jours. »
Le traitement des morts
Durant cette époque où la religion est prédominante, le salut de l’âme est particulièrement important et les funérailles sont donc très codifiées. Mais au vu du trop grand nombre de morts, les rites funéraires sont simplifiés et abrégés.
De nouveaux règlements interdisent la vente des meubles et des vêtements des malades décédés et leurs biens allant jusqu'à leur maison pouvaient être brûlés. Dès 1348, les villes établissent de nouveaux cimetières, mais être enterré auprès des églises devient interdit : les morts se retrouvent hors des villes. Les cadavres des pestiférés devaient être enterrés au plus tard six heures après la mort, les porteurs de cadavres se retrouvent donc en première ligne mais la main d’œuvre se fait manquante.
On commence donc à user de la main d’œuvre forcée : les prisonniers et condamnés à mort sont sollicités et passent dans les maisons ou dans les rues ramasser les cadavres à l'aide de leurs cochets. ils crochent les morts donnant ainsi naissance aux croquemorts.
Mais les corps s’accumulant, les rites funéraires "allégés" ne suffisent plus, désormais tout le monde va à la fosse commune aggravant d'autant plus la situation sanitaire. Dans certains cas, les corps peuvent être immergés dans les fleuves (c’est le cas du Rhône) où les eaux ont été auparavant bénies par le Pape.
Conclusion
Le bilan en vie humaine de cette pandémie est catastrophique : 1/3 de la population de l'époque est morte, soit entre 30 à 50% de pertes de populations suivant les villes. A Hambourg par exemple, il y a une perte de 2/3 de la population et 3/4 de perte à Bhrême, en Allemagne. Au total, on compte environs 25 millions de victimes.
Les conséquences de cette pandémie sont nombreuses : conséquences culturelles, économiques, religieuses et sociales. Elle marque donc un tournant dans l'histoire et la perception de la mort a radicalement changé, elle est vue comme repoussante et les morts et les vivants sont désormais séparés… à suivre...
Sources
_________________________________________________________
CASTEX Dominique et KACKI Sacha, Funérailles en temps d'épidémie, Les nouvelles de l'archéologie
SIGNOLI Michel, La peste noire, Presses Universitaires de France, 2018, 128p
VERDON Jean, "Se soigner" dans La vie quotidienne au Moyen-âge, Perrin, 2015, 382p
VITAUX Jean, Histoire de la peste, Puf, 2010, 218p
Nota Bene, La grande peste noire du Moyen-âge : https://www.youtube.com/watch?v=fbKCnLt1o-I
Andrea Japp et Claude Gauvard, Au coeur de l’Histoire, La peste noire de 1848, Europe 1 : https://www.youtube.com/watch?v=pZO0-zL8jm4
Image : (Toutes les descriptions en cliquant sur les images)
Wikipédia.org
Gallica.bnf.fr
Comentários