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Le monde des morts dans l'Égypte Pharaonique : Introduction


Publication relue par le Professeur HOCHARD - Université de Tours


L'Histoire égyptienne, passionnante et fantasmée, est toute particulièrement marquée par son Histoire antique. De nombreuses sources nous sont parvenues et les restes funéraire sont une mines d'informations riches et particulièrement intéressantes. Les vestiges archéologiques des nécropoles restent des lieux particulièrement bien conservés et protégés, ce qui nous permet de retrouver de nombreux textes et artefacts utiles pour connaître le quotidien de ses contemporains. Car chez les égyptiens, la mort est intiment liée à la vie, comprendre les rituels et coutumes autour de la mort, c'est avant tout comprendre la vie des populations locales.

Il est néanmoins délicat de parler de rites et croyances bien précises, pour la simple raison que la période pharaonique s'étend sur de plus de 3000 ans. Vous vous doutez donc bien que les rites funéraires, les croyances et tout ce qui les entourent ont évolués au fil du temps. Des variations sont également à noter d'une région à autre, entre la Haute-Égypte et la Basse-Égypte sans oublier les particularités locales.


Au départ, seuls les pharaons avaient le droit, et surtout les moyens, de survivre dans l'Au-delà. Dès l’Ancien Empire (2700 av. J.-C), les Égyptiens les plus riches se faisaient à leur tour momifier, tandis que les plus pauvres cherchaient à se faire inhumer auprès d’une tombe d'un pharaon ou d'un noble pour profiter de la protection que cela apportait. Nous pourrions comparer ce phénomène à ce qui s'est passé en Europe sou l'ère du Christianisme où les plus riches cherchaient à tous pris à être inhumés au plus proche des églises. A la fin de l'Ancien Empire, l'embaumement s'était démocratisé.


Ces évolution de pratiques témoignent également de l'évolution de la perception de la mort. Mais de quelle perception parlons-nous ?



Avant toute chose, il faut bien comprendre ce qu'était la composition de l'Être pour les égyptiens. En effet tout être humain serait composé de composantes matérielles et immatérielles. Les égyptiens ne voyaient pas la mort comme une fin mais comme un renouveau, on continue donc à vivre dans un autre monde où des éléments de notre Être immatériel perdurent. Tout être est composé, d'après les croyances égyptiennes, de sept éléments parmi lesquels, le kâ, qui est l'esprit, l'énergie vitale. Celui-ci survit après la mort, à condition que ce dernier soit entretenu. le est complémentaire au , l'énergie de communication, de transformation et de déplacement qui se trouve en chaque personne. Les divinités possédaient également un voire plusieurs pour certaines.


Représentation du Kâ
Représentation du kâ
Représentation du Bâ sous forme d'oiseau
Représentation du bâ sous forme d'oiseau
















La mort n'est pas une finalité, elle est une continuité. Cette croyance est à nos yeux tirées par les cheveux mais relevaient pour les contemporains de l'époque, d'une certaine logique. Après tout, le soleil (Râ) meurt chaque soir mais renaît chaque matin, la végétation meurt mais renaît, donc pourquoi l'Homme ne renaîtrait pas ?


La vie après la mort est quasi plus importante que la vie terrestre, car celle-ci est censée durer éternellement tandis que la vie terrestre n’est qu’un passage, une préparation pour la vie d'après. On constate cela grâce à la protection accordée aux caveaux funéraires, comme les pyramides, mais aussi grâce aux décors des tombeaux et des sarcophages qui s'y trouvent. La mort est préparée tout au long de la vie, et quand elle survient, se met alors un long processus pour permettre la survie du défunt.


Quand la mort survient, il était coutume de penser que le et le se dispersaient tout en conservant leur intégrité Pour les réunir à nouveau et faire en sorte qu’une nouvelle vie soit possible, il fallait à tout pris conserver l'enveloppe corporelle. Cette conservation c'est la momification. Le savoir-faire était tel que, même encore aujourd'hui, les corps retrouvés restent incroyablement bien conservées.


Photographie par Pierre Petit vers 1880 - Collection d'images du Muséum National d'histoire naturelle - Galeries d'Anatomie comparée et de Paléontologie- Ancienne Galerie d'Anatomie comparée /  Muséum national d'histoire naturelle (Paris), direction des bibliothèques et de la documentation
Momie Egyptienne par Pierre Petit

Rien n'était laissé au hasard et même les bandelettes détiennent une importance divine. Anubis, fils d'Osiris aurait reconstitué le corps de son père avec l'aide d'Isis après que ce dernier ait été assassiné et découpé en morceaux par son frère Seth. Anubis aurait alors créé la première momie en reconstituant Osiris à l'aide des bandelette pour lui permettre de ressusciter. Ce mythe a fait d'Anubis le patron des embaumeurs, mais sa mission de s'arrête pas là.


Anubis est le terme de grec pour désigner le fait qu'il “accompagne l’âme”. Son nom égyptien est Inpou, “jeune être” ou “jeune chien”. Il est un dieu Psychopompe, c'est à dire qu'il aide et conduit les morts vers leur nouvelle destinée, jusqu'au royaume d'Osiris, qui est devenu après sa résurrection, dieu du royaume des morts. Les plus anciennes traces que nous avons de son culte nous viennent d'Assiout en Haute Egypte (capitale du 17e nome d'Égypte).


Anubis représenté sur la tombe de Senedjem à Louqsor

La momification est donc un moyen de pouvoir survivre dans l'au-delà car seule condition à la préservation du corps. Le procédé est stricte et nous en possédons une première description grâce à Hérodote. La science et les archéologues ont ensuite permis de comprendre plus en détail les procéder chimiques d'une telle pratique.


- L'Éviscération


Le défunt est d'abord emmené dans la “salle d’or” où l'on commence par procéder au drainage encéphalique. A l’aide d’un crochet métallique, on extrait le cerveau par les narines. Ce procédé, bien que célèbre, reste tardif.

On s'occupe ensuite de l'abdomen qui est éviscéré par un parachiste qui procède à une incision le long du flanc à l'aide d’un couteau d’obsidienne. Il retire ensuite les viscères qui sont lavées avec du vin de palme puis farcies avec de la myrrhe, de l’anis et des oignons séchés. Ces viscères sont ensuite enveloppées dans une toile de lin puis placées séparément dans les quatre vases canopes au milieu d’un liquide conservateur à base d’huile. Ces canopes sont des éléments indispensables dans les sépultures. Elles étaient censées accompagner les âmes des défunts dans leur voyage vers l’Au-delà. Ces canopes sont au nombre de 4 (un chiffre important) et chacune d'elles représente un fils d'Horus et chaque fils porte un organe précis et a pour mission de le protéger : Imset protège le foie, Douamoutef l'estomac, Hâpi les poumons et Kebehsenouf les intestins. Les canopes sont ensuite entreposées dans un coffre en bois, la caisse ou coffre canope.


Retrouvés dans la Vallée des Rois, illustration de Jollois et Devilliers - Dessins pour l'ouvrage de la Commission d'Egypte Tome II (BNF)
Couvercles de vases canopes

A l'intérieur du corps, on remplace les organes manquant par de la sciure de bois ou des tampons de lins. Une fois le processus terminé, l’abdomen est nettoyé à l’aide de vin de palmier et de substances aromatiques, le corps est bourré de toiles de lin imbibées de résine, de natron, d’oignon séché, de sciure de bois avec des plantes aromatiques pour repousser les insectes.


- Dessiccation


C'est la déshydratation des chairs du corps (peau et muscles). Le corps est plongé, par les taricheutes, dans un bain “sec” de natron qui absorbe l’humidité du corps qui y reste 70 jours, soit le temps que met une constellation entre sa disparition derrière l’horizon et sa réapparition. Encore une fois, le symbole de mort et de renaissance est toujours présent.


- L’Enveloppement


Après la dessiccation, le risque est que le corps soit cassant. Il est donc enduit d’huile de genièvre, de cire d’abeille, d'épices et parfois de lait ou de vin pour assouplir les tissus. C'est là que débute l'enveloppement à l'aide de bandelettes enduites de gommes et de résine. On commence par les doigts et les orteils, puis les mains et les pieds pour ensuite continuer le reste du corps et finir avec la tête. Des amulettes sont également glissées entre les bandelettes à des endroits stratégiques rappelant la dimension spirituelle de cette tâche.


Illustration de Jomard et Edme-François, XIXe siècle (BNF) - Recueil de dessins pour la Commission d'Egypte, Tome V
Illustration d'amulettes

Tous ces processus sont accompagnés de prières et d’incantations. Les plus pauvres, eux, auront leur corps simplement enroulé dans une natte mais cela n'est pas forcement un mal, dans tous les cas on observe une certaine égalité face à la mort car la momification n'est pas suffisante pour permettre une survie dans l'au-delà, mais nous y reviendrons.


La momie est finalement mise dans un cercueil lui-même mis dans sarcophage considéré comme la dernière demeure du défunt (attention, un cercueil et un sarcophage sont deux choses différentes). Il est difficile de donner une description précise de ce sarcophage car il évolue énormément d'une époque à l'autre. Sous l'Ancien et le Moyen Empire, les sarcophages sont de grands coffres rectangulaires en bois, peints à l’intérieur et à l'extérieur de divinités, d’extrait du livre des morts, d’une porte et d’un œil permettant au mort d’aller et venir à sa guise. Durant le Nouvel Empire, les sarcophages sont plus anthropomorphes. Plus le défunt est riche, plus le nombre de sarcophages que l’on emboîte les uns dans les autres est élevé (Quatre par exemple pour Toutankhamon) . Les personnes de conditions plus modestes auront six planches de bois ou une grande jarre de terre cuite.


Photographie par Devéria Théodule, 1859 (BNF) - Recueil Photographies négatives de Théodule Devéria
Momies retrouvées à Sakkarah, Memphis

La momification ne suffit pas pour permettre une renaissance de votre Etre. Penser au défunt, prononcer son nom, le nourrir etc. sont également des éléments essentiels. Les rites funéraires sont là pour ça et soulignent donc un point important : le destin des morts repose sur les vivants.

La survie du mort s’apparente en bien des points à la vie terrestre (boire, manger, travailler et aussi disposer de ce qu’il aime), l'importance de ne pas être oublié étant un élément essentiel, le rang social du défunt pèse donc lourdement sur le rite qui lui est rendu.


Le corps reste dans un premier temps de longues heures à son domicile entouré de sa famille et de ses amis qui constituent un cortège pour amener le défunt dans sa dernière demeure. La procession est animée par les cris des pleureuses considérées comme des professionnelles du deuil que l'on retrouve également en Grèce.


Tombe de Sakkarah, Nouvel Empire, calcaire, Musée du Louvre, Guillemette Andreu
Scène de lamentations

Chacun apporte une offrande et les canopes sont transportées sur un traîneau qui suit celui qui porte le défunt.

S'en suit un rite important , le rite de l’ouverture de la bouche. Cette cérémonie est destinée à transmettre au défunt la faculté d'accéder à la vie éternelle, il vise à redonner aux organes l’énergie nécessaire à leur fonctionnement dans l’au-delà. Ce rite est pratiqué symboliquement au moyen d’une petite herminette par le prêtre ou le fils du défunt de préférence. Cela renvoie à la création des statues divines, qui, sans souffle, ne sont que des images vides, c'est donc un nouveau souffle pour le défunt.


Musée du Louvre, Sully Rez-de-chaussée, La momie, salle 322
Trousse pour le rite d'ouverture de la bouche
19e-20e dynsatie, calcaire. Musée du Louvre C.Décamps
Rite d'ouverture de la bouche












L'alimentation est aussi un point central. On offre en offrande des pots de vin et de bière, du pain, des gâteaux, des volailles salées etc… qui sont déposées dans la tombe ou dans le tombeau, le défunt s'en nourrissant par les vertus de la magie. Ce sont les descendants qui assurent le renouvellement de cette nourriture. Mais cela pose un problème : les générations passant, les défunts finissent par être oubliés. Pour y remédier, il y a l'apparition des fondations funéraire qui étaient en quelques sorte des exploitations agricoles attachées au mort. Elles assurent l’entretien alimentaire du défunt et du prêtre chargé de la tombe. Nous n'allons pas nous attarder là-dessus, car la question est plus complexe et mêlée de politique. Mais nous aurons l'occasion d'en reparler.


Il existait également un moyen de nourrir le défunt par énumération, cette information nous est parvenue grâce aux inscriptions se trouvant à l’intérieur du Mastaba de Khentika (VIème dynastie) où il est inscrit que :


Tous les gens qui passeront près de cette mienne tombe, [présentez moi] l’offrande de pain, de bière, d’eau et de ce que vous avez, [et si vous n’avez rien] dites avec votre bouche en offrant vos bras : mille boulettes d’encens et vases de parfum, mille pièces [d’étoffe] et oies et pigeons, mille choses agréables de tout genre, des fruits de saison, des oiseaux, des taureaux, des oryx (animaux sauvages à longue cornes), tout de cuisses pures…”


Ces offrandes virtuelles se sont démocratisées. En effet le clergé pensait que le défunt finirait par mourir de faim au fur et à mesure des générations. Il a donc été proposé d’énumérer systématiquement, dès le rituel d’ouverture de la bouche, tous les aliments dont le défunt aura besoins.


Pour ne pas oublier le défunt on utilisa également la litanie, une des composantes du rituel à suivre lors du rite funéraire et qui permet de faire durer le nom. Le nom était important chez les égyptiens, il faisait parti de la personnalité et est un des composants de l'Etre. L'oubli est donc comme une seconde mort. Une litanie est donc écrite dans le tombeau, mêlant le nom du mort à celui des dieux. Le défunt est donc indirectement intégré au culte et ne peut donc pas être oublié.


Que mon nom soit perdurable dans Thèbes et dans les nomes pour toujours et à jamais”



L'âme du défunt est accueillie aux portes de l’Amenti où se trouve Anubis. Il va accompagner le défunt jusqu'au royaume d'Osiris pour y être jugé. Ils se dirigent vers les confins du monde, vers l’une des quatre montagnes qui soutiennent le ciel, puis ils embarquent sur un Kheper (bateau) et entament une descente de la galerie de la nuit où coule le fleuve de l’Enfer.

Dans ces eaux est tapi le serpent Apophis, ennemi de Râ qui tente de faire obstacle à l’embarcation.


Bas-relief de Karnak par Chabrol de Volvic XVIII-XIXe siècle, recueil de dessins pour l'ouvrage de la Commission d'Egypte Tome III (BNF)
Bas-Relief, barque symbolique

Les berges sont peuplées d’êtres monstrueux (Babouins géants, des serpents armés, des reptiles à cinq têtes…). Mais le défunt est protégé par Anubis et prononce des paroles magiques. Il doit ensuite franchir les sept pylônes (semblables à la maçonnerie des temples). Dans la salle de justice d’Osiris se trouve une pyramide qu’il faut encore gravir et en son sommet se dresse le trône d’Osiris. Mais il s'y trouve aussi la balance, instrument du jugement. C’est ici que tout se joue et Anubis ne peut plus protéger l'âme du défunt qui se retrouve confrontée à ces actes durant sa vie terrestre.

Manuscrit de la 30e dynastie (époque ptolémaïque), scène du chapitre 125 (jugement des morts et pesée du cœur), collection Bibliothéques d'Orient (BNF - Département des Manuscrits)
Livre des Morts de Ouahibrê

L’âme est seule face aux juges : Osiris (dieu du royaume des morts), Maât (déesse de la vérité et de la justice) et Thot (dieu de la sagesse et de l’écriture qui note le résultat du jugement). Il y a également 42 assesseurs qui écoutent les confessions du mort.

Son cœur est placé sur l’un des plateaux de la balance en équilibre avec Maât placée sur l’autre plateau. Si ce qui est confessé est vrai, le cœur (qui ne ment jamais) conserve son équilibre, si le poids des péchés l’emporte, le cœur sera lourd et fera pencher la balance en sa défaveur. Il sera alors en proie à la “Dévorante”, lion à tête de crocodile et à l’arrière-train d’hippopotame. S'il est considéré “juste voix”, Anubis retourne alors aux portes de l’Amenti. Le mort se voit attribuer un morceau de terre dans le domaine d’Osiris (les champs d’Ialou) où beaucoup retrouvent leur activité d’ici-bas (travailler la terre). On fabrique donc des Ouchebtis, des statuettes placées dans les tombeaux et sont destinées à se substituer au mort dans ses nouvelles activités.


Manuscrit de la 20e dynastie (Nouvel Empire), adoration d'Osiris par le défunt précédé de son bâ et d'offrande puis représenté une seconde fois en adoration d'Osiris à l'intérieur d'un naos (BNF)
Livre des morts d'Amonemouja

Mais que fait-il d’autre ? Il n'y a pas de réponse unique. C'est au Nouvel Empire que s’élabore une synthèse des croyances les plus communément admises : durant le jour le défunt reste dans sa tombe, même si son peut, à l’occasion, visiter les vivants. Au crépuscule il monte dans la barque solaire pour accompagner Râ dans son voyage nocturne. Le matin, quand réapparaît de soleil, le mort regagne sa tombe pour s'y nourrir et s’y reposer.


Les morts détiennent finalement, une vie similaire à celle des vivants. La mort n'est qu'une prolongation de la vie. La vie terrestre reste finalement qu'une préparation à la vie d'après, on s'y prépare toute sa vie. Le matériel et l'immatériel restent en tous points liées, d'où l'importance de la préservation du corps, des offrandes... Rendant la barrière entre l'invisible et le visible floue.

Les rites se sont complexifiés avec le temps et ont beaucoup évolué apportant de nombreuses variantes matérielles et rituelles, seule la perception de la mort et sa philosophie en sont restées identiques.



Sources

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MICHAUX Madeleine, L’Egypte au temps des pharaons, Milan, 2003

SANDS Emily, Egyptologie, Milan, 2004

VENTURA R., L’Egypte Histoire et Civilisation, Osiris, 2010

ZAHI Hawass, Au Royaume des Pharaons, Grund, 2006


Mystère des dieux de l’Egypte, Hachette, n° 2, 2002

Mystère des dieux de l’Egypte, Hachette, n°3, 2002


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