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Vaudou Haïtien et Louisianais: la mort au centre de la vie

Stigmatisé et mal connu, la religion Vaudou est pourtant toujours pratiquée par de nombreux adeptes dans le monde. C'est un art de vivre et une philosophie. Contrairement à ce que nous a laissé penser la culture populaire, il n'y a pas qu'un Vaudou, car les croyances et les rites ne sont pas les mêmes d'une région à une autre. L'Histoire de ses adeptes a également eu un impact fort sur le culte et ses pratiques. C'est pour cette raison que le Vaudou Haïtiens et Louisianais vont particulièrement m'intéresser, car ces cultes se sont fondés autour de l'esclavage, donnant une place à la mort bien particulière.


Pour bien comprendre la place qu'occupe la mort dans le culte Haïtien et Louisianais, il faut d'abord s'intéresser à leurs racines au coeur de l'ancien royaume de Dahomey au sud de l'actuel Bénin.

Il s'est ensuite étendu tout le long de la côte occidentale Africaine et du Ghana au Nigéria. Ce premier vaudou africain, le vodun, n'est pas le plus représenté dans la culture populaire, il n'y a pas cette omniprésence d'amulettes et de gri-gri que nous retrouvons dans l'autre côté de l'Atlantique.




C'est avec le début de la traite négrière au milieu du XVe siècle que le culte vaudou et les croyances vont se transformer et se rependre sur le reste du globe. On le retrouve ainsi en Amérique du Nord et notamment en Louisiane, au Brésil, à Haïti, à Cuba mais aussi dans d'autres régions des Caraïbes. Malgré ces distanciations géographiques certaines croyances restent communes :


- Présence d'un "Dieu" créateur, Mawu, que l'on pourrait plus associer à un esprit et non à une divinité


- Culte des Iwas ou Ioas (que l'on appel des Vaudous), qui sont des esprits qui communiquent avec les Hommes. Ils sont avant tout des puissances naturelles, avec des fonctions précises et peuvent être invoqués. Ils prennent alors forme et se présentent à nous à l'aide d'un avatar nous permettant de les distinguer. On peut les considérer comme une évolution des Orishas qui sont les divinités des croyances Yoruba Africaines. Le Vaudou est donc un culte animiste, c'est à dire que dans leur croyance, la nature est régie par des esprits comme chez les Amérindiens. On ne parle alors pas de dieux ou de déesses.


Avec l'esclavage, les esclaves transportent avec eux leurs langues et leurs croyances, qu'ils adaptent au fur et à mesure du temps. On voit alors apparaître un phénomène de syncrétisme : les esclaves calquent leurs croyances et leurs cultes sur les croyances chrétiennes. Cela donna naissance à Cuba à la Santeria qui est le mélange de divinités Yoruba et des saints chrétiens. Les conditions de vie des esclaves étant particulièrement difficiles, certaines pratiques se sont également adaptées pour remédier à ce dont ils n'avaient plus accès. On voit par exemple apparaître des amulettes protectrices pour les vivants et pour les défunts. L'esclavage a donc eu un impact fort dans les croyances et les pratiques du culte vaudou, allant également impacter ce qui nous intéresse ici : le monde des morts.


Le vaudou est une religion qui comporte de nombreuses pratiques rituelles ou honorifiques. Ces rites et cérémonies comportent de nombreux objets sur lesquels il existe de nombreuses controverses et mauvaises interprétations, donc, avant d'aller plus loin, mise au point des termes importants à connaître qui nous seront utiles pour parler du culte des morts :


- Fétiches : statuettes représentant un Ioa, l'esprit invoqué se trouve à l'intérieur du fétiche, il peut ainsi communiquer avec les Hommes

- (charm) : objets permettant de jeter un sort (positif ou négatif)

- Gri-gri (ou amulette) : objets donnant à son possesseur une protection

- Oufo : temple vaudou à Haïti, il est constitué d'un péristyle. On trouve en son milieu un potomitan qui représente l'axe du monde permettant ainsi un passage aux esprits. On y trouve également un sanctuaire où se trouve les autels

- Vévé : symbole dessiné par les prêtres vaudou autour du potomitan pour invoquer un esprit, chaque esprit possède un vévé qui lui est propre

- Houngan : chef spirituel vaudou, on ne les trouve pas hors d'Afrique car ceux-ci étaient considérés comme trop vieux pour le voyage. Les esclaves déportés ont donc dû réadapter le culte


Fétiche Protecteur d'un village (Afrique)
Fétiche Protecteur d'un village (Afrique)

Bô destiné à faire taire une personne ou éviter qu'une malversation soit reconnue en justice. (Tête de canard, ficelle, cadenas)
Bô "Ferme ta gueule"





Autel d'un Houngan (Afrique)


Vévé du Baron Samedi, Ioa des morts


A noter que les carrefours et les lacs sont également considérés comme des lieux idéaux pour la rencontre avec l'invisible.


Dans la culture populaire, les pratiques du culte sont très largement exagérées et effrayantes. Il est clair que pour nous en occident, avec notre héritage culturel européen, les pratiques peuvent paraitre impressionnantes. La transe en est l'une d'elles. Cet état de conscience altérée aidé par la musique et les danses sont un moyen de communication avec les esprits.


Une fois que les esprits possèdent leurs hôtes, elles choisissent celui ou celle qui doit leur rendre un service : la personne désignée ne peut refuser cette invitation. Évidement, les cérémonies sont adaptées en fonctions de l'esprit invoqué et de la demande : les offrandes se font en fonction des goûts de cet esprit et son vévé est dessiné avec une craie, de la farine ou des cendres. Il peut également y avoir des sacrifices d'animaux. A Haiti, les influences chrétiennes se font plus nettement visibles avec des prières notamment. Je vous met ci-dessous deux exemples qui montrent bien cette variété dans les invocations des divinités (à savoir que la présence d'alcool est normal. On projette de l'alcool sur les fétiches pour invoquer les esprits).






Mais les morts dans tous ça ? Dans la religion vaudou, les défunts occupent une place centrale. Le défunt s'élève au rang de divinité et intègre un panthéon. Dans le vaudou Haïtien, on pense que l'esprit d'un défunt, retourne sur sa terre natale, en Afrique. Mais un problème se pose : pour que cela soit possible il faut que le défunt ait une sépulture descente. Or, pendant le commerce des esclaves, de nombreuses personnes furent décédées pendant le trajet et les esclavagistes ne se préoccupaient pas de donner une sépulture aux défunts. Pour y remédier, un nouveau fétiche apparut : Tchamba. Ce fétiche incarne l'esprit des esclaves déportés et les esprits errants peuvent ainsi revenir parmi les vivants pour demander des offrandes et des cérémonies. Cela appuie l'importance de l'influence de l'esclavage et la préoccupation grandissante des vaudouisants de prendre soins de leurs défunts. Ils sont au centre de l’existence, ils influencent et jugent les actions des vivants. C'est donc pour cela qu'un culte des morts est nécessaire et de nombreux objets permettent d'en témoigner.




Ce fétiche de Tchamba est composé d'éléments rappelant la violence de l'esclavage comme des cadenas et des chaînes. Il est sculpté dans du bois et porte aussi un collier de perles, des coquillages, des plumes, des cornes, des pigments bleus, des matières sacrificielles, des cornes, du tissus et porte entre ses mains un crâne de phacochère.






Pour les défunts, nous trouvons aussi des autels qui ont un but honorifique. C'est le cas de Atchakpa koliko que l'on retrouve lors des célébrations de la divinité Atchakpa en Guinée, mais il permet aussi d'honorer les enfants qui se sont noyés ou qui sont décédés dévorés par des crocodiles.




Les statuettes des Jumeaux Ibejis (Afrique). Celles-ci sont sculptées lorsque que des jumeaux naissent mais que l'un d'entre eux perd la vie. Il s'agit de l'image spirituelle de l'enfant défunt. En effet, dans la culture vaudou, les jumeaux sont considérés comme des demi-dieux partageant une seule et même âme. Quand l'un des deux jumeaux décède, le risque est que le défunt attire le jumeau vivant vers le monde invisible. Les mères confectionnent donc cette statuette qu'elles lavent, nourrissent, câlinent etc. pour que le jumeau resté vivant ne rejoigne pas le monde invisible.


Les Egungun sont présents dans la culture Yoruba (Afrique). Ces hommes costumés symbolisent l'esprit d'un mort supposé revenir se manifester auprès des vivants. C'est aussi un moyen de se souvenir des défunts. Ils portent également un masque, un Egungun Gro qui permet la communication.







Les Asen originaires du Bénin, sont des structures métalliques transportables composées d'un plateau mettant en avant une scène de vie du défunt permettant à la famille de l'invoquer lors de cérémonies annuelles. Ils peuvent ainsi se rencontrer, parler, interroger le défunt et lui faire un sacrifice. Cet objet est non seulement un témoignage de l'importance du monde invisible mais nous renseigne également sur la vie des populations et est un véritable objet d'art.








La mort est également très présente dans la magie avec en particulier les malédictions, et c'est là que nous pourrions parler des zombies, très présents dans les croyances ou encore des crânes reliques en souvenir des défunts. Je consacrerai une publication spécifique sur ces sujets.



  • Les divinités liées à la mort


Première chose à savoir, les divinités vaudou ont des fonctions et des noms différents suivant les régions et leur importance change également, ça vous l'aurez compris.


Nous pouvons prendre ici un exemple précis : Papa Legba, Ioa messager, qui, en Afrique est lié à la réflexion tient une des place les plus importantes. Avec le syncrétisme, il est associé à Saint Pierre qui détient les clés du paradis et de l'enfers, or il n'y a de paradis et d'enfer dans le vaudou. Il est donc considéré comme le gardien des frontières entre le monde des Hommes et le monde surnaturel, il est ainsi nommé Elegua à Cuba et Eshu au Brésil. Il est donc une esprit important car il transmet les messages entre les deux monde. Mais c'est la famille des Guédé qui va particulièrement nous intéresser.


Vévé de Papa Legba

Les Guédé sont une des familles de Ioas (les Ioas sont en effet associés à des familles), ils sont liés aux ancêtres, à la magie, à la fertilité et à la mort (c'est intéressant de voir ici que la vie et la mort sont liées). Ces divinités sont considérées comme étant extravagantes et vulgaires et la plus connue de ces divinités est bien évidement le Baron Samedi, Ioa des morts. Il est marié à Maman Brigitte qui est l'Ioa de la justice, de la maternité, superviseuse des morts et veille également sur les mourants. C'est d'ailleur elle qui est chargée de veiller sur les tombes à condition que ces dernière soient entretenues et ornée d'une croix. Mais contrairement à ce que l'on pense, il existe plusieurs Baron. Ils ont une même antité, prenant plusieurs incarnations :



- Baron Samedi, grand esprit de la mort, chef de Guédés et des esprit psychopompes, il accueil les défunts à la porte du cimetière et veille sur les cadavres, il est également chargé d’emmener les défunts en Afrique. Il est le plus souvent représenté avec un chapeau haut de forme, un costume, un cigare, parfois une paire de lunettes et a un aspect squelettique (ce qui fait de lui une divinité très stylée je vous l'accorde). On peut l'invoquer pour lui demander conseil et il apprécie particulièrement le Rhum et la fête. Il est aussi associé à la sexualité et parfois donc représenté avec un sexe en érection


- Baron Lacroix, est une représentation des "plaisirs terrestres" avant la mort. Il est le plus lubrique des autres barons, censé nous rappeler qu'il faut profiter des plaisirs de la vie et peut, dans certaines versions, guider les âmes au cimetière. La légende raconte que les chiens hurlants la nuit, annoncent en réalité sa venue sur les lieux et donc une mort prochaine.


- Baron Cimetière, est comme son nom l'indique, le gardien des cimetière. Il creuse les tombes, veille sur les morts en les empêchant de sortir et contrôle les vivants entrant sur les lieux


- Baron Kriminel, qui n'a pas de fonction propre (du moins je n'ai absolument rien trouvé à son sujet), on sait juste qu'il est effrayant et est un ancien condamné à mort. Il symboliserait donc le meurtre et la vengeance, soit la mort sous un aspect plus lugubre


Ces Barons sont surtout populaires à Haïti mais ont connu une certaine popularité en Louisiane. Le Baron Samedi est très présent dans la culture populaire : films, séries, livres… (d'ailleurs le sorcier vaudou dans la Princesse et la Grenouille est à l'image du Baron et c'est pour moi le méchant le plus classe de tout les Disney).





La religion et la culture vaudou sont simplement passionnantes et loin de l'image négative que l'on s'y fait. La mort occupe une place centrale mais loin d'être négative, elle est toujours liées aux vivants et à la vie. Tout est mis en œuvre pour les honorer et garder le contact avec eux.


Si le Vaudou vous intéresse, je vous conseil de vous rendre, quand vous en aurez l'occasion, au Château Vodou de Strasbourg où se trouve une merveilleuse collection d'objets avec des explications détaillées et compréhensibles.


Sources

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Philippe Di Folco, Dictionnaire de la Mort, Larousse, 2010

Brivio Alessandra, La mémoire de l'esclavage à travers la religion vaudou, 2007



Article, Le fer forgé du Bénin : un art vaudou : https://l-express.ca/le-fer-forge-du-benin-un-art-vaudou/

Article Wikipédia sur le Baron Samedi : https://fr.wikipedia.org/wiki/Baron_Samedi

Vidéo de Boneless Archéologie : https://www.youtube.com/watch?v=8AJNTcykAfE


Site du Chateau Vodou de Starsboug : http://www.chateau-vodou.com



Images : (Toutes les descriptions en cliquant sur les images)


Instagram (@chateauvaudou)

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