Mise en garde -
Pour cette publication, je me suis tournée vers les sources les plus fiables que j'ai pu trouver. Néanmoins, le pays étant fermé et les informations contrôlées, je ne peux que faire des spéculations quant au réel fonctionnement des pompes funèbres Russes.
Cette publication s'appuie sur l'enquête d'un journaliste, Ivan Golunov, arrêté pour avoir fait ces recherches approfondies sur les services funéraires.
Pour ma part, il ne s'agit pas ici de faire une enquête, ni d'une volonté de dénoncer un système mais de dresser un tableau de ce que sont les pompes funèbres dans un autre pays que le nôtre.
Bien que le tableau qui va être dressé ici soit assez sombre et symptomatique d'un système oligarchique corrompu, la culture Russe, reste et restera chère à mon cœur (je n'ai pas une matriochka tatouée pour rien).
Хорошее чтение
Combien coûtent des obsèques à Moscou ?...…..................................................... 1
Les agents funéraires noirs……..………………………………..………………… 2
Le coût des obsèques……….………………………………………………….….. 3
Une place au cimetière : le chantage des administrations……………….………… 4
Un business entre amis : Ritual-Khimki….………………….…………………….. 5
Nyrkov : un businessman à la tête de Ritual-Khimki………………………….….6
Un business entre amis : la mafia contrôle…………..………………..…………..7
La fusillade de 2016 : un tournant pour le funéraire Russe………………….……8
Entre les mains du Kremlin……………………………….…………………….….. 9
Un ancien ministre à la tête de Ritual : Artyom Ekimov, la tentative de nettoyage…………………………………………………….....................…………10
Banquiers, agents du FSB et chefs d’entreprises……………………………………11
La fortune fait les bons amis…………........................………..…………………….12
Étonnant ou non, il est difficile d’avoir un réel coût des obsèques en Russie, et pour cause, il n’y a aucune réglementation sur le sujet. En théorie, l’Etat s’engage à prendre en charge une partie des frais d’obsèques :
“Conformément au décret gouvernemental de la ville de Moscou 1045-PP du 20 novembre 2001, les funérailles des citoyens de Moscou peuvent être partiellement remboursées par l'indemnité funéraire (19 589,68 roubles) ou peuvent être effectuées gratuitement par l'un des les pompes funèbres municipales habilitées à organiser de telles funérailles.
Selon le point 1 de l'article 7 de la loi fédérale russe « concernant les affaires d'inhumation et de funérailles », le gouvernement russe garantit un cimetière gratuit pour chaque citoyen russe. Pour obtenir légalement un terrain de cimetière, les membres de la famille du défunt peuvent s'adresser à une entreprise funéraire et conclure l'accord correspondant. À l'heure actuelle, de nouveaux terrains de cimetière à Moscou sont attribués dans les cimetières d'Alabouchevskoe, de Novo-Bogorodskoye (district de Noginsk de la région de Moscou) et de Perepechinskoye.” [7]
Données des Pompes Funèbre Ritual de Moscou
msk-ritual.ru [7]
Mais ces dires ne sont en effet que théoriques car une chose reste certaine : la mort attire beaucoup de profiteurs, et les pompes funèbres travaillent "au black" avec ceux que l’on appelle les agents funéraires “noirs” ou “gris” [1].Ces hommes proposent de fortes sommes d’argent aux policiers, ambulanciers et aux hôpitaux afin qu’ils les préviennent des nouveaux décès. Les agents noirs n’ont plus qu’à se rendre au domicile des familles pour proposer des obsèques, dont les prix sont évidemment fortement exagérés. D’après le magazine Russia Beyond, environ 20% des agents funéraires Russes baignent dans ces trafics.
Alors que dire de l’état du marché funéraire Russe ? Sauf preuve contraire, il se porte plutôt bien avec 64 milliard de Roubles, soit 727.56 millions d’euros [2]. Cela peut représenter peu étant donné que le marché funéraire Français se porte quant à lui à environ 3 milliard d’euros. Mais n’oublions pas que les valeurs monétaires ne sont pas les mêmes, et cela se ressent notamment dans le coût des prestations funéraires[3] :
Les corps sont gardés gratuitement pendant 7 jours maximum
Les toilettes funéraires et les mises en bières sont également gratuites
Un soin de conservation coûtera entre 10 000 et 20 000 Roubles ( soit entre 114€ et 227€)
Un cercueil de milieu de gamme aura les mêmes coûts qu’un soin de conservation (capiton et emblème compris)
Un corbillard à Moscou coûtera environ 5 000 Roubles soit 57€, mais il existe également des gammes au dessus pour 20 000 Roubles (mais je vous avoue que nos corbillard français ont plus de gueule)
Les frais de culte (orthodoxe), pour une église en ville les coût s’élèvent entre 2 000 et 7 000 Roubles (23€ à 80€)
S’il s’agit d’une cérémonie dans un crématorium ou dans l’église d’un cimetière, comptez environ 4 000 Roubles (45€)
Le creusement d’une fosse et une inhumation coûteront 9 000 à 15 000 Roubles. L’inhumation est choisie dans 89% des cas, la crémation reste largement minoritaire bien que moins coûteuse.
Mais la véritable difficulté pour les Moscovites, c’est d’avoir un emplacement au cimetière sans se faire avoir. Il est mieux d’acheter sa parcelle à l'avance, de prévoir, car si vous souhaitez le faire au moment de l’inhumation, pris au dépourvu, l’administration en charge des cimetières peut faire du chantage pour négocier les emplacements. Plus vous payez cher, plus votre emplacement sera avantageux (lieu sec, à proximité d’un proche, à l’entrée…). Ce qui est totalement illégal car pour rappel : "le gouvernement russe garantit un cimetière gratuit pour chaque citoyen russe". Il existe même des ventes aux enchères de parcelles et des ventes sur des sites d’annonces, bien plus coûteuses.
Toute cette corruption est entretenue, il faut garder à l’esprit que les services funéraires sont entre les mains de la mafia et s’il y a bien une règle d’or, c’est que la loi, c’est pour les ennemis. Les amis, eux, en sont dispensés.
Les Pompes funèbres Ritual-Khimki, sont comme leur nom l’indique, originaires de Khimir, à proximité de Moscou. Les liens entre le FSB (les services secrets Russes) et les services funéraires sont révélés par le journaliste Ivan Golunov, qui comme vous vous en douterez finira en prison avant d’être relâché. Son enquête fut publiée dans le journal Meduza : Плохая компания Как бизнесмены с юга России захватили контроль над похоронной индустрией Москвы и кто им в этом помог, que l’on peut traduire par Mauvaise entreprise, comment des hommes d’affaires du sud de la Russie ont pris le contrôle de l’industrie funéraire de Moscou et qui les a aidés à y parvenir [4]. Il nous parle notamment d’un homme, Vyacheslav Nyrkov, fondateur de Ritual-Khimit.
Nyrkov est un ancien militaire, administrateur du maire Strelchenko, directeur de cour à l’Académie de la défense civile du ministre des Situations d’Urgence puis directeur des Pompes funèbres communales. Il a fait parlé de lui pour avoir “géré” un conflit parmi les locaux alors qu’un projet de construction d'autoroutes vit le jour dans la région. Cette autoroute devait passer par un cimetière où se trouvait des sépultures d’aviateurs, il fallait donc procéder à des exhumations. Le journaliste Golunov a enquêté sur ces exhumations et accuse les services funéraires d’avoir éparpillés les ossements et de les avoir placés dans des sacs poubelles sans respect envers les défunts, le tout pour y construire ses propres entreprises.
Ce dernier s’est défendu dans la presse et a réussi à "convaincre". En échange, la mairie lui a confié le secteur administratif des constructions de la ville.
Il y construira donc différentes entreprises, toutes détenues par ses proches, tandis que sa réputation lui permet d'influencer grandement le secteur funéraire Moscovite.
Son ami Yuri Chabouev et ancien camarade de classe, va rejoindre son entreprise en tant que co-gérant avant de devenir le principal directeur. Ils détiennent alors du personnel dans toutes les morgues de la ville. Mais les hommes sont habiles car les contrats négociés par les représentants avec les clients étaient associés à une société privée appartenant à deux fonctionnaires d’Etat… On peut rajouter que Chabouev crée à Penza une entreprise de fabrication de cercueils et d'accessoires funéraires qui va littéralement décoller [5], garantissant d'autant sa place à la tête des services funéraires. Bien qu’il ne soit pas un enfant de choeur et sujet à de nombreux dérapages, Chabourev est promu en 2013 chef de la branche territoriale n°3 des services funéraires dit TORO à Moscou et donc a sous son contrôle 31 cimetières. Un autre de ses amis fut quant à lui nommé responsable TORO n°5 et contrôle 3 grands cimetières. C’est Piotr Levchenko qui devient alors le nouveau directeur de Ritual.
Leurs salaires et leur pouvoir suivent cette courbe montante et en font largement profiter leur entourage : Chabourev loue à son épouse du matériel qui lui permet d’ouvrir un restaurant dans un prestigieux centre d’Affaire de Moscou.
Mais des tensions ne vont pas tarder à apparaître, allant jusqu'à l’implosion en 2016.
L'entretien des cimetières est contrôlé par Chabourev et ses hommes qui exploitent des migrants venus du Tadjikistan. Ces hommes payent une “déduction” aux administrateurs du cimetière pour avoir “le privilège” de travailler pour eux. Ce système de l’ombre ne posa pas de problème jusqu’au jour où Chabourev augmenta ces déductions, causes de premières sources de tensions.
Mais voilà, souvent considérés comme insignifiants et laissés de côtés, ces travailleurs commencèrent à créer leurs propres ateliers, notamment en marbrerie. Remarquant cette nouvelle exploitation, Chabourev tenta d’y prendre le contrôle en proposant aux travailleurs désormais chefs d'entreprise de redevenir des “salariés ordinaires” tandis que lui profitera de ces nouveaux bénéfices. SPOILER : ça n’a pas marché.
C’est alors que le 14 mai 2016, les hommes de Chabourev se rendent au cimetière Khovanskoye où éclata une bagarre de 300 à 400 hommes avant qu’une fusillade se déclare, faisant 3 morts et 30 blessés.
Mais le Kremlin n’apprécie guère cette image qui impacte également le pouvoir en place et va tenter un nettoyage de fond. Il y a bien eu quelques tentatives auparavant avec plusieurs descentes de police à l’encontre d'anciens dirigeants de Ritual. Ce nettoyage impose que secteur funéraire Moscovite tombe peu à peu entre les mains d’hommes du Sud de la Russie et du Kremlin.
On observe déjà un an avant la fusillade une redistribution du marché des services funéraires et le nouveau directeur de Ritual ne fut nul autre que Artyom Ekimov, ancien enquêteur criminel au siège de la lutte contre la corruption et de la sécurité économique du ministère de l'intérieur. Cette nouvelle nomination est une preuve de cette tentative de nettoyage.
Mais en Russie, on aime travailler entre amis, et Ekimov va nommer de nouveaux administrateurs pour les cimetières, tous d’anciens amis ou collaborateurs de ce dernier. Le but : mettre de l’ordre bien qu'aucun de ces hommes n'aient de réelles expériences dans le funéraire. Ces nouveaux administrateurs sont des chefs d'entreprises : boutiques d’alcool, restaurants de luxe, concessionnaires automobiles et encore anciens du FSB.
Leshkevitch, un autre homme d'affaire, fonde la Première Compagnie Rituel et achète de nombreux corbillards, remporte des contrats publics avec Ritual pour fournir un service de transport. Leshkevitch a pour partenaire Sardal Umanatov, copropriétaire de la morgue de Moscou le Graal. Malgré ce nettoyage, tout continue de se passer dans un cercle restreint, mais ce n'est en rien étonnant car nous sommes dans un régime oligarchique. Le fonctionnement des entreprises se calque au fonctionnement de l'Etat.
Je passe une grosse partie des relations, mais tout est, d’après les termes de Golunov “une toile d’araignée de personnages”. Leurs épouses, enfants et amis sont également impliqués d’une manière ou d’une autre, ayant tous un lien avec les grosses industries, les banquiers et le FSB. Néanmoins, si cette fameuse toile vous intéresse je vous invite à lire l’article [6].
La corruption est toujours bien présente dans les services funéraires Moscovites et les cimetières manquent cruellement de place rendant les parcelles d’autant plus chers pour les moscovites.
Pour l’heure, je n’ai que trop peu d'informations sur les pompes funèbres russes pour connaître leur réel fonctionnement actuel et si Golunov n’avait pas sorti son article, j’en saurais encore moins.
Sources :
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[4][5][6] I. GOLUNOV, Плохая компания Как бизнесмены с юга России захватили контроль над похоронной индустрией Москвы и кто им в этом помог. Traduit “Bad company, How businessmen from southern Russia seized control of Moscow’s funeral industry, and who helped them do it” dans Meduza,1er juillet 2019 [consulté le 1er décembre 2023]. URL : https://meduza.io/en/feature/2019/07/01/bad-company
D.DEWITE, “L’industrie funéraire à Moscou donne une bonne idée de la façon dont les gens font des affaires dans la Russie de Poutine” dans Business AM, 8 juillet 2019 [consulté le 2 décembre 2023]. URL : https://fr.businessam.be/lindustrie-funeraire-russie-poutine/
V. DORMAN, “Russie : à Moscou, la mafia des cimetières déterrée” dans Libération, 1er juillet 2019 [consulté le 1er décembre 2023]. URL : https://www.liberation.fr/planete/2019/07/01/russie-a-moscou-la-mafia-des-cimetieres-deterree_1737143/
[1] [2] [3]V. RIABIKOVA, “Combien cela coûte-t-il de mourir en Russie et comment s’y déroulent les funérailles ?” dans Russia Beyond, 10 mars 2021 [consulté le 1er décembre 2023]. URL : https://fr.rbth.com/lifestyle/86220-funerailles-russie-cout-deroulement
[7] Site des Pompes Funèbres Russe Ritual [consulté le 2 décembre 2023] : https://www.msk-ritual.ru/en/moscow-region-mortuaries
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